Œuvre de la semaine : L'art pour dénoncer
L'art, souvent qualifié de miroir de la société, a depuis toujours joué un rôle crucial dans la dénonciation des maux qui la traversent. À travers toutes les époques, les artistes ont utilisé leurs talents pour refléter les injustices, questionner les normes établies et stimuler la réflexion sociale. Cette capacité unique de l'art à transcender les barrières linguistiques et culturelles en fait un puissant moyen de sensibilisation et d'interrogation.
L’ŒUVRE DE CHARITÉ DE SAINT MARTIN (El Greco)
Il s’agit d’une peinture réalisée par le maître espagnol du XVIe siècle, El Greco. Elle représente l'acte charitable de Saint Martin, un soldat romain converti au christianisme, qui partage son manteau avec un mendiant. L'événement est inspiré d'une légende populaire chrétienne.
La composition met en lumière Saint Martin, situé au centre de la peinture, réalisant l'acte de charité. Le manteau rouge vif est un point focal, symbolisant le geste de générosité et de compassion envers le nécessiteux. Les visages des personnages dégagent une profonde spiritualité, avec des expressions dévouées et compatissantes.
MIGRANT MOTHER (Dorothea Lange)
C’est une photographie emblématique de Dorothea Lange pendant la Grande Dépression aux États-Unis, en 1936. Cette image saisissante met en scène Florence Owens Thompson, une mère de famille devenue symbole de la lutte et de la résilience face à l'adversité.
La photographie montre Florence Owens Thompson, une femme d'apparence fatiguée, entourée de ses trois enfants. Son regard exprime la préoccupation et l'incertitude, tandis que ses enfants se blottissent contre elle, cherchant réconfort et protection.
La force de "Migrant Mother" réside dans sa capacité à capturer l'essence de la détresse humaine pendant une période difficile de l'histoire américaine.
Les Campbell's Soup Cans (Andy Warhol)
Créée en 1962, il s’agit d’une série emblématique dans le mouvement artistique du pop art. Cette œuvre présente 32 toiles, chacune représentant une variété différente de soupe en conserve de la marque Campbell.
Warhol a délibérément choisi un sujet quotidien et banal, transformant quelque chose d'ordinaire en une œuvre d'art. L'artiste a utilisé des techniques de production de masse, telles que la sérigraphie, pour reproduire les images de manière uniforme, soulignant ainsi la nature industrielle et commerciale des produits de consommation.
Cette série a eu un impact significatif sur l'art contemporain en ouvrant la voie à de nouvelles approches artistiques, mettant en lumière l'influence de la publicité, de la consommation de masse et de la culture populaire sur l'art. "Les Campbell's Soup Cans" sont devenues emblématiques de la capacité de l'art à refléter et à critiquer la société dans laquelle il émerge.
C’est une œuvre magistrale de Pablo Picasso, créée en 1937 en réponse au bombardement brutal de la ville basque de Guernica pendant la guerre civile espagnole. Ce tableau monumental est une dénonciation poignante de la violence et de la souffrance engendrées par la guerre.
Picasso a choisi un style cubiste distinct pour représenter la scène, décomposant les formes et utilisant des tons de noir, blanc et gris pour créer une atmosphère intense et déchirante. Au centre de la composition se trouve un cheval blessé, criant de douleur, et une femme tenant un enfant mort dans ses bras, symbolisant l'innocence déchirée par le conflit.
Le tableau est rempli de symboles puissants, comme la lampe à huile renversée, la fleur écrasée et le taureau blessé. Chacun de ces éléments représente une facette différente de la souffrance humaine causée par la guerre.
C'est un cri silencieux contre l'horreur de la guerre, un appel à la paix et à la compassion. L'œuvre a acquis une signification universelle, devenant un symbole intemporel de la résistance contre l'oppression et la brutalité.
"POLLUTED WATER POPSICLES"
(groupe d'artistes taïwanais Hung I-chen, Guo Yi-hui et Cheng Yu-ti)
Il s’agit d’une initiative artistique réalisée par un groupe de créateurs taïwanais. Ces artistes ont créé cette série de popsicles à partir d'eau contaminée provenant de différentes sources à travers Taïwan. Ils ont collecté l'eau de rivières, de lacs et d'autres sites affectés par la pollution.
Après avoir prélevé l'eau, ils l'ont filtrée et congelée pour créer des glaçons. Ces glaçons ont ensuite été façonnés pour ressembler à des glaces. Chacune reflète les impuretés spécifiques présentes dans l'eau d'origine, créant ainsi une représentation graphique et visuelle de la pollution.
L'objectif de cette œuvre est de sensibiliser le public aux problèmes de pollution de l'eau de manière créative et provocante.
C’est une œuvre emblématique de l'artiste américain Norman Rockwell, créée en 1964. Cette peinture illustre une jeune fille afro-américaine, Ruby Bridges, escortée par des agents fédéraux lors de son intégration dans une école primaire de la Nouvelle Orléans, au milieu des hostilités liées à la déségrégation raciale.
L'image saisissante montre la petite Ruby, vêtue d'une robe blanche, marchant stoïquement entre quatre marshals blancs. Des insultes racistes et des éclats de projectiles marquent l'arrière-plan, soulignant la résistance et les tensions de l'époque.
Ce tableau est une dénonciation puissante du racisme et de l'opposition à l'intégration raciale dans les écoles publiques aux États-Unis. L'expression calme mais déterminée de Ruby Bridges contraste fortement avec le tumulte qui l'entoure, mettant en lumière la cruauté de la discrimination raciale et la nécessité de lutter pour l'égalité.
Norman Rockwell (1894-1978) est un peintre américain. Il s'intéresse très tôt au dessin. D'ailleurs, il se définissait lui-même comme un illustrateur.
Son nom reste identifié au magazine The Saturday Evening Post dont il a réalisé les plus célèbres illustrations et couvertures jusqu'en 1960.
Ses techniques : Il commençait par choisir son sujet, dont il faisait plusieurs esquisses et croquis pour élaborer l'idée de départ, puis il réalisait un dessin au fusain très précis au format identique à celui de la toile définitive. Il reportait ce dessin sur la toile et commençait la peinture proprement dite. Il peignait à la peinture à l'huile très diluée à l'essence.
À partir des années 1930, Rockwell ajoute un nouvel auxiliaire à son travail, la photographie, ce qui lui permet de travailler avec ses modèles sans leur imposer des temps de pose trop longs. Le procédé aura une influence sur son œuvre en orientant sa peinture vers le photoréalisme.
Le style de Norman Rockwell a été qualifié de storyteller (narratif). Comme illustrateur, il faisait en sorte que ses oeuvres soient en parfaite correspondance avec les textes qu'il illustrait (c'est le cas de Tom Sawyer).
Pour ses couvertures de magazines, chaque détail avait un rôle dans la narration de la scène. Son travail a évolué d'un naturalisme hérité du XIXe siècle à une peinture plus réaliste et précise dans sa période la plus prolifique.
Dans les années 50, Rockwell est considéré comme l’un des plus populaires artistes américains. Il réalise les portraits d'Eisenhower, Kennedy et de Nasser.
C’est à cette époque-là qu’il peint un triple auto portrait très mystérieux. On y voit le peintre, la pipe aux lèvres, en train de se peindre et se regardant pour cela dans un miroir (Triple autoportrait).
À la fin des années 1960, il illustre des thèmes plus politiques. Sa plus célèbre illustration pour Look représente une petite fille noire américaine se rendant à l'école escortée par des agents fédéraux.
The problem we all live with (Notre problème à tous) a été réalisé en1964. Il s'agit d'une huile sur toile (91 X 150 cm) et est exposé au Musée Norman Rockwell de Stockbridge au Massachusetts. Elle a été prêtée pour être exposée à la Maison Blanche en 2011.
La reproduction apparait en couverture du magazine Look le 14 janvier 1964.
Cette œuvre est l'illustration d’un événement précis et réel qui a eu lieu dans le sud des Etats Unis pendant le processus de déségrégation.
Ruby Bridges, 6 ans, fut l’une des seuls enfants qui réussirent un test pour pouvoir intégrer une école blanche dans la ville de la Nouvelle Orléans. Elle fut la première petite fille noire à intégrer une école blanche (William Frantz Elementary School en Louisiane) le 14 novembre 1960.
Devant l’hostilité de la population blanche, Ruby dut être escortée par des agents fédéraux et fut l’objet d’insultes et de jets de projectiles. Une seule enseignante accepta de faire cours avec elle. Pendant un an, Barbara Henry enseigna uniquement à Ruby Bridges.
Ce tableau est un symbole du combat pour les droits civiques aux Etats Unis.
Description / analyse :
Au premier plan, une petite fille noire dans une robe blanche. Sa robe semble neuve marchant d’un pas déterminé : le blanc symbolise l’innocence et la pureté. Contraste entre la couleur de la peau et celle de la robe.
Elle tient ses affaires d’école dont une règle jaune et un livre bleu étoilé.
De chaque côté, des agents fédéraux reconnaissables à leurs brassards jaunes. On ne voit pas leurs visages, ils sont anonymes, seule leur fonction compte : protéger la fillette. Ils représentent la loi. Ils sont très grands par rapport à la fillette ce qui accentue sa fragilité. Le fait qu’on ne voit pas leurs visages les rend encore plus imposants et donne aussi l’impression de regarder une photographie qui a été cadrée sur la fillette, le personnage central.
A l’arrière-plan, un mur sur lequel on peut voir des inscriptions : l’insulte « nigger » et KKK (Ku Klux Klan), organisation violente qui s’attaquait aux noirs. Une tomate a été jetée contre le mur ; la couleur rouge symbolise le sang, la violence. Ces inscriptions et cette tomate sont destinées à la petite fille.
Importance du hors champ : On ne voit pas ceux qui ont marqué les inscriptions et qui ont jeté la tomate. Ce sont ceux qui menacent la petite fille sur le chemin de l’école et qui justifient la présence des agents. La petite fille semble impassible à la violence qui l’entoure. Elle est dans son droit : la couleur jaune représente la loi : les badges et les brassards des agents, la règle de la petite fille + le papier dans la poche de l’agent qui est peut-être le document officiel qui autorise Ruby à aller dans une école blanche.
Les cinq personnages marchent vers la gauche, c'est-à-dire vers l’Ouest qui symbolise un avenir meilleur pour les américains (la conquête de l’Ouest pour les pionniers, espoir de s’y installer pour y vivre une vie meilleure.) Ruby passe une ligne sur le trottoir : passage symbolique vers une nouvelle ère. Norman Rockwell fige cet événement très important de l’histoire américaine ; il est pour l’égalité des droits entre les noirs et les blancs, pour l’intégration des enfants noirs dans les écoles « blanches » malgré l’hostilité d’une partie de la population, forte hostilité = « Le problème avec lequel nous vivons tous ». Il nous place comme spectateur de l’événement, au milieu des manifestants qui sont hors champs.
« Avant que je commence l’école, je ne pensais pas à ce que je deviendrais quand je serai grande. Ce à quoi je pensais, c’est que je n’aimais même pas mon nom. Je pensais que Ruby était un prénom pour les petites vieilles dames… »
En 1960, la petite Afro-Américaine Ruby Bridges, âgée de seulement 6 ans, ne se doutait pas qu’elle allait devenir une figure de la lutte des droits civiques aux États-Unis. Elle ne savait pas non plus qu’elle publierait un livre pour enfants, 62 années plus tard, en septembre 2022, un ouvrage intitulé I am Ruby Bridges, aux éditions Scholastics, dans lequel elle raconte le jour où elle est devenue la première élève noire à intégrer une école réservée aux Blancs.